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22/10/21 | 8 h 57 min par Bernard Lassauce, Claude Lindor, Laura Schintu et Cédric Desbois (AS)

CHINE / OCEANIE : colonisation du Pacifique Sud par la corruption, les dettes…

Comment la Chine tisse sa toile dans le pacifique Sud ? • ©NC1ère

Comment la Chine tisse sa toile dans le Pacifique Sud ?

océan pacifique
Pourquoi, comment et à quel prix le développement économique aidé par la Chine s’est imposé chez nos voisins ? Enquête.

En Océanie, il est des faits qui ne trompent pas. Comme cette carte ci-dessous. En rouge figurent les 10 états qui ont fait allégeance diplomatique à la République de Chine populaire. Et tourné le dos à Taïwan. Une des priorités géostratégiques de Pékin.

Présence chinoise dans le Pacifique

« Évincer Taïwan à tout prix sur le terrain diplomatique et politique – on accroît notre sécurité et notre influence dans la zone via de l’aide au développement, via du culturel, via de l’économie, via de la construction et de l’infrastructure. Accroître ces accès aux ressources, que ce soit des ressources halieutiques, minières ou autres présentes dans la zone »

Emmanuel Veron Enseignant – Chercheur Ecole Navale

Le piège de la « debt trap »

Pas surprenant de retrouver ces mêmes pays parmi les bénéficiaires des aides au développement allouées en 2020 par la Chine. À noter que l’Australie a distribué six fois plus d’argent, sans en tirer le même parti. Pour les instituts d’études spécialisés c’est la méthode chinoise qui fâche.

« Ce qui m’inquiète le plus (…) c’est la manière de procéder en dépit des lois, à grand coup de pots de vin et de corruption des élites locales« 

Jonathan Pryke, expert au Lowy Institute

« Il apparaît que nombre de ces pays, parmi les plus pauvres, ont emprunté à la Chine bien plus que l’on pensait. Cette opacité de la dette se conjugue avec des conditions de financement très floues », précise également Christophe du Trebesch Kiel Institute.

La presse mondiale s’en alerte. Derrière ces contrats opaques on découvre des clauses de confidentialité qui peuvent s’avérer dramatiques pour les États eux-mêmes.

« On a un retour d’expérience des conditions qui ont été attribuées à tous ces prêts, à toutes ces aides et on voit bien dans la plupart des cas que parmi ces aides qui ont tendance à surendetter certaines petites îles du Pacifique, ce sont des conditions où ces états sont obligés d’abandonner certains éléments de souveraineté et de territoire. » 

Pierre-Christophe Pantz Docteur en Géopolitique

À l’exemple de ces États océaniens soutenant à l’ONU la politique répressive de Pékin au Xinjiang.

« Lorsqu’on connaît la situation des papous en Nouvelle-Guinée occidentale, on peut être surpris de ce positionnement diplomatique de Port Moresby de soutenir les actions chinoises contre les Ouïgours,  mais vu l’argent qu’investit la chine en Papouasie Nouvelle-Guinée, il est difficile pour le gouvernement central diplomatiquement d’avoir une certaine indépendance de pensée. »

Bastien Vandendyck

La Papouasie, que les prêts chinois entre autres, ont transformée. Des infrastructures routières, portuaires, des immeubles, un palais des congrès, un stade mais aussi des investissements de multinationales chinoises dans les mines ou l’industrie de la pêche. Et au final une facture que Port Moresby n’a pas les moyens d’acquitter. Une situation qui a inspiré ce constat à un expert australien.

« La Papouasie, satellite historique de l’Australie, est passée rapidement sous la coupe des emprunts chinois, qu’elle ne peut rembourser, et offre une position stratégique et d’importantes ressources minières à la Chine »

Ce que les experts traduisent par « The debt trap », le piège de la dette. Piège dont Tonga n’arrive pas à se dépêtrer. Les prêts chinois atteignent 45% du PIB. Même constat aux Samoa où l’ancien gouvernement avait abusé des largesses de Pékin. La nouvelle premier ministre Naomi Mata’afa vient d’ailleurs de casser un contrat de 100 millions de dollars pour l’agrandissement du port financé par Pékin. Des financements qui se sont multipliés depuis 20 ans. Mais ne profitent guère aux économies locales. Une particularité de ces prêts bilatéraux qui fonctionnent en circuit très fermé.

« La banque d’État chinoise choisit souvent de ne pas transférer d’argent sur les comptes contrôlés par le gouvernement océanien. Au lieu de cela, les prêts sont versés directement à l’entrepreneur chinois qui exécute le projet de construction à l’étranger, c’est un cercle fermé, l’argent reste à l’intérieur de la Chine »

Klaus Gerd Giesen Politologue – Université de Clermont Ferrand Colloque Université Polynésie Française 5/11/2019

Zoom sur le Vanuatu

Le Vanuatu, allié historique, est un exemple emblématique de cette diplomatie de la dette. Entre la construction d’un centre de conférence de 1000 places, rétrocédé à une société chinoise, l’agrandissement du port de Luganville et autres chantiers pour développer le tourisme. La dépendance financière à l’égard de Pékin s’est accrue. Pour faire face à cette emprise le Vanuatu concède ses terres à des fonds privés chinois. Ici 100 hectares à proximité de Port Vila pour cet immense projet immobilier. Au point que la présence chinoise est vécue comme une nouvelle forme de colonisation.

“Pour moi cela a démarré doucement, mais comme vous pouvez le voir les chinois continuent d’arriver encore et toujours. S’ils venaient et partaient, les gens penseraient que c’est pour construire le Vanuatu, mais là, ils achètent des terrains, construisent des immeubles. Port Vila est en train de devenir chinois », Charlie Falau Chef de village à Efate, pour Radio Free Asia.

Depuis 2017 l’État brade même ses passeports, sans être trop regardant sur l’intégrité des nouveaux citoyens. Une vente qui lui a rapporté 13 milliards de francs en 2020. Cette diplomatie du portefeuille ne cesse de gagner du terrain. Dernier pays entré dans le giron de Pékin : les Îles Salomon. En deux ans, les emprunts se sont multipliés. Jusqu’à concéder la location pour 75 ans de l’île de Tulagi. Avec carte blanche pour la construction d’un port en eau profonde, d’une base de pêche, de terminaux de gaz et de pétrole. Contrat qui a fait l’objet de recours de la part de la population. Le rapprochement avec la Chine populaire menace lui l’unité du pays. La province de Malaïta réclame carrément son indépendance.

Un dossier signé Bernard Lassauce, Claude Lindor, Laura Schintu et Cédric Desbois : 

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