Publié dans l’édition papier de The Economist, 16 janvier 2016. Reproduit sur le site de l’Administration Centrale Tibétaine tibet.net
Les réponses de la Chine face à l’instabilité des marchés trahissent l’inquiétude de ses dirigeants.
Voir le chef solidement installé derrière son bureau à expédier les affaires courantes, devrait être un spectacle réconfortant en période d’incertitude. Et c’est exactement l’image que les médias d’État officiels chinois ont donné de Xi Jinping lors de la diffusion de son message de vœux au peuple chinois le 31 décembre –reconnaissons cependant que, si cette impressionnante surface de bois est réellement le bureau présidentiel, M. Xi doit éprouver quelques difficultés à atteindre ses téléphones, d’un rouge impressionnant, mais ridiculement loin de lui. De cette position, censée inspirer confiance, M. Xi a expliqué à son public que 2016 allait marquer « le début d’une phase décisive » dans les efforts du pays pour construire « une société raisonnablement prospère », but que le Parti Communiste dit espérer atteindre à la fin de la décennie. Oubliant de mentionner que le taux de croissance de l’économie était au plus bas depuis un quart de siècle, il a maintenu que les perspectives d’avenir du pays étaient « encourageantes ». Au vu des récents évènements, il semblerait cependant que la foi de M. Xi en ses compétences managériales ne soit pas partagée par tous. La nervosité des marchés financiers et monétaires en Chine a révélé une crainte généralisée, laissant penser que le chemin serait semé d’embûches – et que M. Xi et ses collègues étaient mal armés pour y faire face. Si l’on en juge par la manière dont ils ont réglé toute une gamme de dossiers politiques et économiques, cela pourrait donner raison au clan des inquiets. Quatre jours après la retransmission du discours de M. Xi, la bourse de Shanghai rouvrait après l’interruption du nouvel an. Alors qu’il restait encore 90 minutes avant la clôture de la séance, les transactions ont été suspendues pour le reste de la journée ; l’indice était en baisse de 7%, et un nouveau « disjoncteur » avait été mis en place. Les ventes massives se sont encore accentuées depuis : en 2016, l’indice a chuté, jusqu’à présent, de 15%, le pire début d’année jamais enregistré. Dans le même temps la monnaie chinoise, autrefois très stable, subit une forte déstabilisation. La banque centrale a pensé pouvoir contribuer à la baisse du yuan, et offrir ainsi un petit coup de pouce aux exportateurs inquiets, sans répercussions sérieuses. Au lieu de cela, elle a déclenché une fuite de capitaux et inquiété les exportateurs partout dans le monde. Exportateurs qui se sont préparés à des baisses encore plus conséquentes du marché boursier. Tandis que l’onde de choc de la crainte d’un effondrement de la Chine se propageait sur les marchés mondiaux, le gouvernement a renoncé à ce disjoncteur mal conçu en faveur d’une tentative de consolidation du yuan et des marchés en ordonnant à ses banques et à ses courtiers d’acheter. Le mouvement de panique lié à la capacité de la Chine à maintenir une croissance régulière est infondé. C’est vrai, sa dette est préoccupante : la dette publique et privée approchait 160% du PIB il y a huit ans et s’élève maintenant à plus de 240% (environ $25 trillions). Mais le gouvernement compte toujours sur un accroissement de l’économie de 6,5% par an, en moyenne, pour le reste de la décennie. Cela s’avèrera peut-être difficile, et pourrait entraîner beaucoup plus d’investissements coûteux. Mais cela reste jouable. Le problème n’est donc pas en soi d’ordre économique. Il est plutôt qu’un gouvernement largement considéré autrefois comme tout-puissant –même sur les marchés- est en train de perdre son emprise. Le récent chaos n’est après tout pas le premier de son espèce ; les marchés ont été très nerveux en août dernier. Les dirigeants chinois sont actuellement aux prises avec des réformes extrêmement complexes de leur système financier, de leur politique monétaire, et de leurs entreprises d’État. Ils donnent l’impression de ne pas trop savoir comment s’y prendre, ils s’agitent dans tous les sens et commettent des erreurs. En Chine comme à l’étranger, les gens risquent de perdre confiance, avec des conséquences allant bien au-delà des marchés. Mr Xi et ses collègues semblent avoir peur de perdre le contrôle sur les leviers économiques dont ils ont joué pour asseoir l’autorité du parti. Ses dirigeants aiment les banques d’État : on peut leur faire confiance pour orienter les prêts vers les entreprises privilégiées et les projets des fonctionnaires loyaux. Ils s’inquiètent de devoir relâcher la domination du parti sur les industries d’État qui ont la mainmise sur les secteurs vitaux de l’économie comme l’énergie, les transports et les télécommunications –à qui donc en confier la direction sinon aux fidèles du parti? Si le parti traîne des pieds pour les réformes, la Chine aura recours à des mesures de relance non viables, et finira par tomber en stagnation, comme le Japon dans les années 90. Ce qui comporterait des risques de turbulences sociales et politiques. Une véritable crise économique n’est pas non plus à exclure. Autrefois admiré par d’autres gouvernements autoritaires, sans oublier certains commentateurs occidentaux, pour sa manière habile de maintenir l’équilibre entre les marchés libres et le contrôle du parti, le style de gouvernance de la Chine est peut-être bien sur le point de perdre son éclat. M. Xi a sans doute du mal à saisir toute la complexité de certains aspects pointus du fonctionnement de la bourse, mais il a très vite compris les dangers auxquels la Chine était exposée lorsqu’il a pris le pouvoir en 2012. Certains commentateurs étrangers étaient toujours, même à l’époque, fascinés par ce qu’ils considéraient comme la combinaison gagnante entre, d’une part, un gouvernement technocratique possédant une bonne connaissance des besoins du pays et de la manière de les satisfaire, et, d’autre part, un mépris pour les débats interminables qui peuvent nuire à une bonne politique dans les démocraties. Mais M. Xi et ses collègues se sont rendu compte que les fondations du modèle que Deng Xiaoping avait entrepris de développer à la fin des années 70, et qui s’étaient imposé dans les années 90, avaient besoin d’être revues.Des ennuis au sommet
Le succès du modèle a été nourri par deux forces : le développement rapide de la prospérité et, depuis la répression sanglante des manifestations de la place Tienanmen en 1989, une trêve anormalement longue parmi les élites du parti souvent indisciplinées. Toutes deux sous-tendues par une croissance régulière procurant des dividendes inouïs à l’élite en même temps que la prospérité à des centaines de millions d’individus. Mais en 2012 le PIB de la Chine a progressé à son rythme le plus lent en 13 ans. Pire encore, M. Xi a pris ses fonctions au milieu de la lutte de pouvoir la plus féroce au sein de la direction du parti que la Chine ait connu depuis Tienanmen. Non content d’enrichir sa famille dans des proportions phénoménales, Bo Xilai, chef du parti de Chongqing, région du sud-ouest, a soumis sa candidature pour un poste au plus haut niveau. M. Xi n’a pas apprécié, et d’autres hommes politiques l’ont soutenu. M. Bo purge actuellement une peine de prison à vie pour corruption et abus de pouvoir. La croissance économique et la paix au sommet du parti ont, certes, contribué à la stabilité du pays, mais ne l’ont pas maintenu statique. Sous Hu Jintao, avant M. Xi, la classe moyenne s’est développée de manière colossale. Et son désir d’un environnement stable dans lequel s’enrichir encore plus a constitué un rempart essentiel de l’autorité du parti. Mais certains de ses membres étaient de plus en plus fatigués des caprices du parti et de sa corruption manifeste. Qui plus est, cette classe moyenne disposait d’une nouvelle arme très puissante : l’information. Le développement rapide d’internet a ouvert une tribune nationale pour l’expression de la dissidence. Sina Weibo –l’équivalent chinois de Twitter- a été créé exactement trois ans avant l’arrivée au pouvoir de M. Xi ; à cette époque il comptait 46 millions d’utilisateurs quotidiens. Les médias sociaux ont permis au parti de surveiller l’opinion publique et d’identifier les problèmes avant qu’ils ne deviennent susceptibles de menacer sa mainmise sur le pouvoir. Mais ils ont aussi stimulé le développement d’une société civile : ONG, églises de maisons, et cabinets d’avocats indépendants prêts à défendre la cause des personnes opprimées et spoliées dans leur combat contre la bureaucratie. Tous ont largement utilisé les médias sociaux. Des groupes échappant au contrôle du parti -bien que peu importants et éparpillés- ont surgi de partout. Les évènements à l’étranger ont semblé souligner l’instabilité des états autoritaires. Le printemps arabe a commencé à voir le jour en 2011, un an avant que M. Xi ne prenne le pouvoir, et bien que l’on puisse difficilement parler d’avancée démocratique –loin s’en faut- il a été la preuve que les régimes autoritaires pouvaient, contre toute attente, s’avérer très fragiles. La police chinoise a travaillé dur pour empêcher tout copier-coller de ces troubles. Au même moment, le plateau tibétain et le Xinjiang, qui couvrent environ 40% du territoire chinois, ont été en proie à un sentiment antiparti suite à sa réaction impitoyable aux émeutes de 2008 et 2009. Une crise démographique s’est également profilée à l’horizon. La chute du taux de natalité a privé la Chine du surplus de sa population active qui avait constitué son « dividende démographique » : elle vieillissait très vite. Les jeunes ont commencé à s’inquiéter pour leur avenir. Avenir hypothéqué par le poids d’avoir à prendre en charge les personnes âgées –sans oublier la flambée des prix de l’immobilier et, pour les diplômés, l’augmentation du chômage. Pour couronner le tout, s’est dessinée la menace d’une catastrophe environnementale : les villes étouffaient sous le brouillard causé par des industries qui avaient apporté la croissance ; l’eau d’un-cinquième des rivières était trop toxique pour tout contact humain, sans parler d’être bue. Même les dirigeants du parti se sont mis à décrire le modèle économique chinois comme « instable, déséquilibré, mal organisé et non viable à terme ». Confronté à la nécessité de remanier, voire de restructurer en profondeur le modèle politique et économique chinois, M. Xi a tenté de se présenter comme un réformateur à la Deng Xiaoping. Il a acquis plus de pouvoir que n’importe quel dirigeant depuis Deng, se confiant la responsabilité de tous les portefeuilles les plus importants, et abandonnant le système de « direction collective » instituée par Deng. Effectivement, de bien des manières, l’emprise de M. Xi sur tous les mécanismes de contrôle du pays semble plus forte que celle de Deng, et juste derrière celle de Mao Zedong. Ayant ainsi les coudées franches, M. Xi parle de réformes qui vont encore plus loin que celles de Deng – comme, par exemple, lorsqu’il a demandé aux 370 membres du Comité Central, lors d’une réunion du parti en 2013, d’appuyer son appel pour qu’on reconnaisse aux forces du marché un rôle « déterminant » dans l’économie. (Ce qui a été le cas). M. Xi demande maintenant une « réforme de l’offre » et laisse ainsi entendre que ce sont désormais des changements structuraux à l’économie, plutôt que des investissements massifs initiés par l’État, qui sont à l’ordre du jour. Le principal organe du parti, le Quotidien du Peuple, qualifie ces réformes d’ « Édition 2.0 du modèle chinois ». L’un des buts cruciaux de cette approche est de garder l’appui de la classe moyenne, même lorsque s’installe ce que M. Xi se plaît à appeler la « nouvelle normalité » du ralentissement économique. D’où ses exhortations répétées à construire le « rêve chinois ». Il s’agit là d’un terme ambigu, désigné en partie pour évoquer la prospérité de la classe moyenne américaine, et une vie affranchie de l’intervention du gouvernement. Mais le slogan a aussi été choisi pour entretenir une fierté patriotique, avec le « rêve d’une armée puissante ». Le coup de jeune ainsi donné par M. Xi au modèle chinois repose sur le nationalisme plus encore que les précédents.