La Chine veut retrouver la place qui était la sienne jusqu’au début du XIXe siècle, alors qu’elle était la première économie du monde. La « grande renaissance de la nation chinoise », annonçait le président Xi Jinping dans son discours inaugural, en mars 2013. « La Chine poursuit trois objectifs majeurs », explique Claude Meyer, professeur à PSIA-Sciences Po et conseiller au Centre Asie de l’Institut français des relations internationales (IFRI) : devenir un leader économique mondial, faire reconnaître sa place dans la hiérarchie des grandes puissances sur la scène internationale et promouvoir ses propres valeurs.
« Fabriqué en Chine 2025 », l’ambitieux programme d’investissements chinois dans les nouvelles technologies, notamment, n’est pas sans susciter la polémique à Washington et ailleurs. L’affrontement entre Pékin et l’Occident est-il inévitable ? L’actualité a posé la question à Claude Meyer, qui vient de publier L’Occident face à la renaissance de la Chine(Odile Jacob, 2018). Il y a 30 ans, Deng Xiaoping formulait ainsi la politique de la Chine par rapport au monde : « Attendre notre heure, cacher nos capacités, et ne pas revendiquer le leadership. » Le président Xi Jinping semble croire que le temps est venu de retourner ces maximes, non ? Oui. Le président Xi ne se gêne pas pour parler publiquement du rôle de la Chine sur la scène internationale. Il a déclaré que Pékin doit désormais guider la communauté internationale, à la fois pour « construire ensemble un ordre mondial plus juste et raisonnablement nouveau » et « pour maintenir conjointement la sécurité internationale ». C’est la déclaration la plus affirmée qu’un dirigeant chinois ait jamais prononcée sur le rôle majeur, voire prépondérant, que la Chine entend jouer désormais pour remodeler le système international. Les États-Unis, sous Barack Obama et maintenant avec Donald Trump, semblent vouloir lui barrer le chemin, est-ce le cas ? Obama avait compris le défi que posait la Chine dans le monde et plus particulièrement en Asie. D’où sa politique du « pivot » vers l’Asie, afin d’y renforcer la domination américaine, tant militaire qu’économique, notamment par l’intermédiaire du Partenariat transpacifique — qui exclut la Chine. Or, Trump semble revenir en arrière, malgré sa rhétorique. Il se retire du Partenariat et laisse le champ libre à la Chine pour promouvoir ses propres règles commerciales en Asie. Il se retire de l’accord de Paris sur les changements climatiques et offre à Pékin l’avantage inespéré de jouer le premier rôle sur une question cruciale pour l’avenir de la planète. Pourtant, Washington et, dans une moindre mesure, d’autres capitales accusent Pékin de jouer avec les règles internationales, particulièrement sur les enjeux commerciaux. La Chine est-elle un pays responsable sur la scène mondiale ? Le bilan est contrasté. Devant le protectionnisme affiché de Trump, le président Xi a reçu une ovation des participants au forum de Davos en 2017 après avoir vanté les mérites de la mondialisation. Les États-Unis se retirent de l’Unesco, la Chine vote régulièrement avec les Occidentaux des résolutions au Conseil de sécurité de l’ONU concernant la Corée du Nord ou l’Iran, et est un des premiers pourvoyeurs de troupes dans les opérations de maintien de la paix. Trump fustige les institutions internationales, Xi demande qu’elles soient réformées pour mieux représenter la hiérarchie des grandes puissances d’aujourd’hui. Mais la Chine violerait les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et, selon certains, se livrerait au pillage du savoir-faire des autres.
Les pays occidentaux doivent donc s’engager dans un partenariat constructif, fondé sur la recherche des points de convergence avec Pékin.Les Américains ont longtemps utilisé la manière douce (diplomatie, culture, aide au développement, commerce) pour assurer leur domination. La Chine en est-elle pourvue ? L’argent est un des éléments de sa manière douce. La Chine investit massivement en Afrique, où elle concurrence les vieilles puissances coloniales, la France et le Royaume-Uni. Elle a créé la Banque asiatique d’investissements pour les infrastructures, qui rivalise directement avec les institutions financières dominées par les Occidentaux et offre à de nombreux pays des prêts qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. La Chine a aussi lancé le gigantesque chantier des nouvelles routes de la soie, programme d’infrastructures qui couvre l’ensemble du continent eurasiatique et dont le terme est symboliquement fixé à 2049 — 100eanniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. Quelque 160 pays (dont un premier du G7, l’Italie) et organisations internationales appuient déjà l’initiative. Enfin, sur le plan culturel, on compte environ 500 instituts Confucius (équivalents de l’Alliance française) dans le monde et quelque 100 millions d’étrangers étudient le mandarin. La rencontre est-elle impossible entre la Chine et l’Occident ? Les Jésuites ont établi en deux siècles de présence (entre le XVIe et le XVIIIe) un modèle réussi de dialogue interculturel avec les Chinois. Aujourd’hui, la tentation est grande d’opposer cultures chinoise et occidentale dans une dichotomie radicale : sagesse contre philosophie, silence contre parole, harmonie contre liberté, hiérarchie contre égalité. Ces différences existent, mais elles ne doivent pas être figées dans des clichés stériles, qui font de la Chine une société exotique et impénétrable avec laquelle toute tentative de dialogue serait vouée à l’échec. L’expérience jésuite a prouvé le contraire. Pourtant, vue de l’Occident, la Chine apparaît comme une dictature orwellienne où le citoyen est aux ordres. C’est ce qui pousse plusieurs pays à se méfier de sa rhétorique concernant la promotion de ses valeurs et d’un monde plus juste. Est-ce un cliché ? Le régime n’est plus totalitaire comme il le fut sous la férule de Mao, mais l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2013, a marqué un tournant très autoritaire. La fragile émergence d’une société civile en Chine, qui avait bénéficié d’une certaine tolérance durant la décennie précédente, est ainsi menacée par le raidissement du pouvoir. Le Parti renforce son contrôle sur les ONG, les groupes religieux, les mouvements citoyens, les avocats, les intellectuels, les journalistes, Internet, en un mot, sur tous les acteurs ou instruments de la société civile. Non seulement les voix dissidentes sont muselées, mais une campagne de purification idéologique vise à restaurer l’orthodoxie marxiste et à éradiquer l’attrait des valeurs étrangères, jugées pernicieuses. Alors que la société civile pourrait jouer un rôle précieux dans le développement du pays, notamment sur le plan social, Xi Jinping considère au contraire qu’elle constitue une menace pour le pouvoir du Parti et pour la stabilité sociale. Les tensions avec la Chine peuvent-elles mener à une grave crise, sinon à un affrontement ? Rivalité pour la suprématie mondiale, dialogue économique très difficile, visions politiques antagonistes, choc des cultures : comment éviter que les relations entre la Chine et l’Occident ne soient dominées par l’affrontement ? Mon livre essaie d’y répondre en définissant une sorte de « grammaire » d’un dialogue avec la Chine qui évite deux écueils, la naïveté et, à l’opposé, le « China bashing » (dénigrement). Les pays occidentaux doivent donc s’engager dans un partenariat constructif, fondé sur la recherche des points de convergence avec Pékin. Mais la sauvegarde de leurs intérêts est tout aussi importante, de même que la défense de leurs propres valeurs, notamment en matière de libertés fondamentales et de protection des droits de la personne. image : Photo : Getty Images